Passer plusieurs semaines en compagnie du Peuple de la Forêt dans l’immense forêt humide de la Salonga au Congo, ça ne pouvait qu’être une leçon à la fois d’humilité, mais surtout riche en apprentissages de toutes sortes.
Parmi ceux-ci, s’installer pour un long moment dans un environnement chaud et humide avec quasi rien. Et comme nos latitudes sont toujours plus chaudes et plus humides, peut-être que ces savoir-faire sont transposables ou le seront sous peu.
Un ranger rentre d’une collecte de lianes qui serviront de matériau de construction pour assembler les pans de huttes. ©Laurence Vanderhaeghen Se déplacer dans ce type d’environnement réclame une énergie considérable. Non seulement l’effort physique, mais aussi mental, car les dangers sont constants. ©Laurence Vanderhaeghen
Sommaire :
• LA BASE • LA NOURRITURE • LE MOBILIER – IV L’EAU & L’HUMIDITÉ

Ce que je trouve le plus stupéfiant avec ces hommes et ces femmes nés dans les grandes forêts primaires, c’est leur aptitude à faire efficace, à faire vite, à faire pratique et le tout dans une grande simplicité. Car si moi je survis dans ce type d’environnement, eux ils vivent. Et la différence est de taille, car alors que la moitié de mon énergie mentale et physique est consacrée à m’adapter, la totalité de la leur est fonctionnelle. Il y aurait suffisamment à écrire pour faire un livre au sujet de l’expérience partagée avec eux, mais cet article se focalise sur l’installation du camp de base en bord de rivière, à l’orée de la forêt primaire.

La forêt de la Salonga
Description : Forêt tropicale dense et humide, un gigantesque marais originel à la végétation dense.
Situation : Dans le Parc National de la Salonga
Surface : 36.000 km2
Localisation : République démocratique du Congo, sur les provinces de Tshuapa, Kasai, Mai Ndombe et Sankuru
Coordonnées : 2° 00’00’’ S, 21° 00’ 00’’E
Caractéristiques : Plus grande réserve de forêt tropicale pluviale d’Afrique • Très isolée et accessible seulement par voie d’eau
Habitat de plusieurs espèces endémiques menacées : bonobo, paon du Congo, éléphant de forêt, pangolin géant.
Patrimoine mondial de l’UNESCO (depuis 1984) • Sur la liste du patrimoine en péril depuis 1999

LA BASE
La première étape lors de l’installation consiste à déboiser une surface. Les bois servent ensuite à la construction en plus de mettre en sécurité la zone. Supprimer les arbres permet d’éviter l’approche des animaux qui n’aiment pas être à découvert, idem pour les serpents, limiter les insectes et éviter un écrasement sous un arbre abattu par effet domino suite à une tempête ou sous le poids des lianes.
Ce dernier point est une vraie préoccupation en forêt tropicale. Les habitants du camp doivent être scrupuleux sur l’hygiène et le traitement des déchets sous peine de voir le camp rapidement envahit par de la vermine volante et rampante, insectes et rongeurs, tous vecteurs de maladies infectieuses et désagréments divers. Les latrines, douches et fosses à déchets sont toutes creusées à la main.
Les différents éléments nécessaires sont construits dans du bois vert et assemblés par des lianes de différentes épaisseurs. Deux modèles de douches sont fabriqués. Le premier est un modèle surélevé dont le principal avantage est de réduire le nombre d’insectes sous les bois où ruisselle l’eau, mais qui nécessitent plus de suivi pour éviter la rupture d’un bois du plancher ou de l’échelle d’accès.
Une fosse à déchets est creusée. Les déchets du jour seront recouverts de terre avant chaque coucher du soleil. Les latrines sont bien sûr installées un peu à l’écart et nécessitent un important et harassant travail de terrassement au préalable. Vue sur un détail ingénieux des latrines. Ce bois creusé permet dans la position accroupie aux hommes de viser juste et de permettre l’écoulement dans le trou de l’urine et de limiter la présence des insectes en surface, ainsi que les mauvaises odeurs. Système de douche suspendue. Même si son accès est plus laborieux, il est plus aisé de garder les pieds propres et loin des nombreux insectes avec ce modèle. Douche classique avec fond posé à même le sol. Plus facile à construire, mais attention aux serpents qui aiment s’y réfugier. Toutes les palissades correspondent au même canevas de construction. Les diamètres de troncs utilisés varient en fonction de la surface à construire.
La construction des latrines commence par le creusage d’une fosse de 8m3 (2x2x2m) étançonnée par des troncs de petite section. Les palissades de tous ces lieux d’aisance sont conçues de la même façon : tressage de feuilles de palmiers et jointure des bois de soutien par des lianes.
NOURRITURE
La nourriture est évidemment simple et répétitive, mais peut être bonne tout de même grâce aux épices. Au camp, la cuisson au feu permet de préparer poisson et manioc. Dès qu’on est en mouvement dans les profondeurs de la forêt, le plat unique est alors composé de chikwangue (voir encadré) qui a le mérite de se conserver longtemps même par 40 degrés. La forêt fournit la viande, mais aussi le dessert grâce à la présence de nombreux fruits. La rivière pourvoit en poissons.


Chikwangue : un repas de survivaliste
Le chikwangue (kwánga en lingala) est un mets traditionnel du bassin du fleuve Congo.
La préparation est assez longue et peut réclamer 1 à 2 semaines. Entre trempage, émiettement et égouttage, les étapes sont assez longues. La matière est ensuite travaillée à la main, puis cuite à la vapeur.
On lui donne alors la forme de boudins qu’on enveloppe dans des feuilles de bananier, mais, idéalement, celles de ngungu, mikungu sont privilégiées, car elles donnent une saveur particulière.
Ensuite, on fait à nouveau cuire à l’étouffée le tout. Le produit obtenu est de consistance caoutchouteuse, a peu de goût, mais est très nourrissant et se conserve plusieurs jours.
Utilisation : La chikwangue accompagne de nombreuses préparations d’origine animale ou végétale. On l’utilise aussi pour manger une sauce avec les doigts. Comme elle peut se conserver plusieurs jours, c’est le repas idéal à emmener en forêt profonde.
MOBILIER
Comme pour le reste, le mobilier est fabriqué avec ce que la forêt offre. La conception de tables de différentes tailles, de chaises, de porte-baquet pour l’eau, de lits s’opère sans vis ou clous. Des systèmes de cheville ou de tenon-mortaise simplifié, de nœud et ligatures permettent l’assemblage. Une connaissance des variétés de bois à privilégier pour telle ou telle utilité est nécessaire et évidemment un savoir-faire particulier est indispensable pour le façonnage des languettes de bois.
Deux modèles de chaises fabriqués sans clous et sans vis. Ci-dessus, un modèle plus simple et ci dessous, une chaise plus élaborée. Détail d’un piège à poissons simple et vieux comme le Monde, mais ingénieux. Certains survivent en forêt tropicale, d’autres y vivent avec (presque) le même confort qu’ailleurs. Ici, banc et haltère pour ceux auxquels il reste de l’énergie à dépenser. Une pirogue pour une personne taillée dans une seule pièce de bois.
ACCESSOIRES
En plus des besoins basiques comme énumérés ci-dessus, la forêt fournit tout le nécessaire pour construire des accessoires comme des balais, des pièges à animaux ou à poissons et même un banc à haltères pour les amateurs ! Pour le transport, la construction d’une petite pirogue réclame 4 à 5 jours de travail pour 4 hommes. Une grande pirogue peut facilement en réclamer 15 !

EAU & HUMIDITÉ
L’hygrométrie oscille en permanence entre 96 et 100% d’humidité dans l’air, les pluies sont fréquentes et évidemment diluviennes. Protéger ses effets et sa personne durant la nuit est parfois compliqué et finalement l’objet le plus précieux est une grande bâche de jardinage. Elle permettra de doubler le toit d’une tente bon marché, la rendant ainsi résistante à la fois au poids de l’eau et aux fuites. Ensuite, lorsqu’il s’agira de progresser loin de ce camp de base en forêt, cette même bâche constituera à elle seule l’abri de l’équipe. Pratique, bon marché et efficace.
En forêt, la bâche bleue sert à construire l’abri pour la nuit ou lors des épisodes de pluie. Les forêts tropicales ne manquent pas d’eau, mais il est important de prévoir le stockage de celle-ci quand elle est filtrée, car le climat en impose une consommation accrue pour éviter la déshydratation et les calculs rénaux. ©Laurence Vanderhaeghen
Conserver l’eau filtrée réclame des bidons en plastique propre, une des rares choses que la forêt ne fournit pas et qu’il faut anticiper. Idem avec un fût étanche pour le matériel ou les médicaments sensibles.
Chauffage de l’eau de la rivière pour la douche. Le plastique reste une matière très pratique pour des contenants qui permettent de stocker l’eau au camp. Un bidon étanche est indispensable pour conserver des objets ou médicaments sensibles à l’humidité que rien n’épargne en milieu tropical. L’auteur pose en compagnie des rangers lors d’une patrouille dans les profondeurs de la forêt de la Salonga.
©Laurence Vanderhaeghen
Les leçons apprises d’un séjour en forêt tropicale avec des spécialistes innés de la (sur)vie en forêt confirment les fondamentaux de l’approche occidentale de la survie. On pourrait le résumer par l’emport d’un outil tranchant, du nécessaire pour allumer un feu et traiter/stocker de l’eau, quelques connaissances pour s’équiper et s’abriter, mais surtout une posture indispensable : s’adapter en se contentant de peu et considérer les désagréments comme autant de chances de devenir meilleur.
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survival numéro 27

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