Retour à la terre : vers l’autonomie

Délaisser son boulot commercial, acheter un lopin de terre avec une maisonnette et se plonger dans le rythme des saisons… lequel de nos contemporains n’en a pas au moins esquissé l’idée, serré dans le métro, en suffoquant dans les embouteillages ou en bâillant dans la énième réunion hebdomadaire ?

Certains y pensent, d’autres franchissent le pas. Il y a une quinzaine d’années, Franck et Estelle Petit se sont installés dans une vallée au fond de laquelle coule l’Allier. En ce milieu d’hiver, leurs trente chèvres sont en pleine gestation et donc au repos. Le couple aussi ! « Dès que les chevreaux naissent, il faut traire chaque matin et chaque soir, quoi qu’il se passe, quelles que soient les distractions, les envies ou les maladies, les bêtes n’attendent pas ! », rappelle Estelle. Mais l’hiver, c’est la période du repos de la terre et des hommes.

Pour l’heure, ils sont encore occupés à presser des pommes de leur verger et celles que des clients leur apportent. « Cela nous a paru très naturel de nous installer dans cette ferme », raconte Estelle, penchée sur la broyeuse à pommes. « Ce retour à la terre nous permet de vivre au quotidien les cycles essentiels de la Nature », complète Franck, en ajustant le pressoir d’où s’écoulera bientôt un jus de pommes brut.

Une vie à la rude, à l’ancienne

Quelques heures plus tard, l’énergique quadragénaire lave des bouteilles pour le jus dans leur fromagerie, aménagée dans une pièce de la maison et dont les murs ont été blanchis à la chaux. Il a fait ses études dans une grande école de commerce et pouvait espérer un avenir économiquement intéressant dans une grande entreprise, avec un bon salaire et un certain confort matériel.

« Mais ce dont la plupart de nos contemporains rêvent, moi, je le refuse ! Cette vie à la rude, c’est aussi pour continuellement chasser le bourgeois qui est en nous », développe-t-il en s’attaquant aux étiquettes des bouteilles.

« Les gens d’ici ne comprennent pas pourquoi nous voulons revenir à la terre, alors que tant d’autres la quittent ou l’ont quittée pour chercher le “bonheur” ailleurs. »

Alors Franck parle de la ville, énergivore et chronophage. Explique qu’il veut se battre contre l’absurdité du monde moderne, fustige ceux qui se leurrent en s’opposant à un monde dans lequel ils vivent et dont ils vivent. « Je me sens totalement anarchiste : je respecte l’ordre naturel, mais j’exècre sa caricature moderne. Je ne crois pas à la religion du progrès ni en un quelconque dogmatisme religieux. Je refuse leur monde comme l’aide soi-disant technique de la Chambre d’Agriculture. Je veux perpétuer autre chose : j’essaye d’ouvrir mon cœur à l’immuabilité des choses vraies, je suis un révolutionnaire conservateur », conclut-il fièrement en égouttant ses bouteilles !

L’idée survivaliste d’une base autonome durable acquise « au cas où », tout en continuant sa vie habituelle ne l’intéresse pas : « cela ne sert à rien, la guerre est déjà déclarée depuis longtemps ! », assène-t-il. Quand on observe les aliments ingurgités par la plupart de nos contemporains, le lavage de cerveau médiatique et la tension sociale qui envahit nos rues, il est bien difficile de le démentir.

Après une promenade sur les bords de l’Allier le lendemain matin, Franck ramasse des fagots de frêne, qu’il a coupé cet été à la hachette pour nourrir ses bêtes. Il nous raconte qu’il fauche aussi les blés à la faux. Au début, les gens du coin le prenaient pour un hurluberlu : « ils pensaient que je faisais le mariole ». Mais au fur et à mesure des années, ils ont compris que c’était sincère. Et quatre ans après ses débuts, l’un d’entre eux lui a montré comment entretenir correctement sa faux ; il ne s’agit pas seulement de l’affûter, mais il faut d’abord la taper sur l’enclume à faux. Depuis, il travaille beaucoup plus efficacement, il a appris la patience d’attendre et compris que ceux de la Terre n’ont de respect que pour celui qui persévère. Ce côté initiatique, où l’on apprend lentement, par petits trucs et explications sibyllines, ce cheminement par l’appropriation, lui semble une richesse infiniment plus précieuse que celle du compte en banque.

Les savoir-faire des anciens

Nous rejoignons Estelle qui pétrit son pain, elle nous raconte leurs expériences pour récréer le sens de la communauté, de l’entraide par de grandes fêtes qui célèbrent les rythmes de la nature, par des chantiers menés avec des woofeurs ou des randonneurs de passage.

Et elle nous retrace également leur jeunesse : le couple s’est connu sur les sentiers européens qu’ils arpentaient avec l’esprit wandervögel, ce mouvement allemand né au début du siècle dernier, en réaction à l’industrialisation naissante et déjà aliénante, à la vie d’usine et citadine. Fauché par les deux guerres mondiales, il a subsisté çà et là. Cela aurait été trahir les idéaux de leur jeunesse vagabonde que de se résigner à une vie de banal consommateur. La concrétisation n’a pas toujours été évidente, surtout les premières années. « En fait, cela a même été vraiment difficile, avoue Estelle. Entre nos parents qui ne comprenaient et ne comprennent toujours pas ce choix de vie, la maison que nous rénovions totalement, les quatre enfants qui se sont enchaînés rapidement et qui ont tous suivis jusqu’à l’année dernière l’école à la maison, les chèvres à traire, les fromages à fabriquer et à vendre ainsi que les visites des touristes à la ferme l’été… ». Et tout cela, il y a quinze ans, où ce mode de vie était nettement moins bien compris qu’aujourd’hui. Mais malgré les difficultés, elle ne regrette pas et savoure maintenant son indépendance de vie et même la vie tout court, ayant finalement réussi à trouver sa place.

Car c’est finalement de cela qu’il s’agit dans le retour à la terre : trouver sa place dans le monde. En s’écartant de la ville et du modèle consumériste, tous ceux qui se tournent vers ce mode de vie racontent comment ils ont trouvé des repères, grâce à la nature et ses forces bénéfiques, au temps retrouvé, à des relations profondes et sincères avec autrui. Le temps qu’ils prennent pour jouer une chanson à la guitare, partir se promener parce que le soleil pointe le bout de son nez ou que la neige qui tombe offre de superbes glissades. La sobriété matérielle et la simplicité volontaire qui leur permettent d’accéder à une spiritualité plus intense et féconde. L’intime sensation de reconstruire quelque chose, de recoaguler ce qui doit être dissous. n

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Le site de Franck et Estelle :

//www.lafermeduboutdumonde.fr/

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